Marronnier de la période des arbitrages budgétaires, la question du déficit de l’assurance maladie resurgit inlassablement chaque année. Les analystes économiques et de la santé avancent alors avec certitude leurs explications désespérément redondantes. Les ministres de la santé se succèdent et proposent docilement des solutions à la marge et sans lendemain.
Le diagnostic, logique, est partagé par la plupart : il s’agit d’une surconsommation de soins au regard des ressources allouables par la collectivité. L’étiologie de ce mal viendrait des assurés, des patients, des malades qui ne se rendent pas compte du coût de la santé et consomment sans retenue, sans aucune rationalité. Le remède proposé depuis plusieurs décennies est alors de responsabiliser ce patient dispendieux en le rendant plus citoyen.
Cette vison est maintenant relayée par la CNAM passant progressivement d’une conception d’assuré à celle de client, allant même jusqu’à le suspecter. L’histoire aussi onéreuse qu’inutile de la photo sur la carte vitale en est une illustration.
Face aux échecs successifs des tentatives de solution ciblée sur le patient, ne devrions-nous pas remettre en question l’étiologie et observer le dispositif différemment ? Le médecin sait que si le traitement reste sans effet il est parfois raisonnable de se départir de ses aprioris, pour envisager d’autres hypothèses.
Et si l’incapacité à maitriser les dépenses de santé, ne venait pas des patients, mais des soignants, des médecins ? L’évolution depuis une vingtaine d’années de la démarche médicale pourrait en être la cause.
La valeur ajoutée d’un médecin formé pendant 10 ans, qui dispense un acte de haute qualité intellectuelle, prenant en compte les risques pour faire des choix, est mise à mal par une procédurisation dépersonnalisée de la démarche diagnostique et thérapeutique.
- On bilante et on protocolise les plaintes du patient selon des arbres décisionnels, des algorithmes, des recommandations rigides et inadaptées. S’en suivent des examens systématiques, sans analyse d’opportunité, et l’incapacité de faire une synthèse avant d’avoir "tous les résultats".
- Le patient, logique partenaire du soignant dans la prise en charge de son trouble, est vécu à tord comme un adversaire potentiel. On ne l’écoute plus. On vérifie que ce qu’il allègue est plausible, on le suspecte… On explore ainsi les maux pour se protéger "médico-légalement".
- On refuse d’envisager une cause non négligeable de maladie qu’est le psychosomatique. La médecine française a un véritable mépris pour ces troubles, que le patient est en général disposé à envisager, pour peu qu’on l’évoque aussi simplement que d’autres causes. On parle de diagnostic d’élimination, favorisant les détours en examens inutiles dispendieux et source d’anxiété pour le patient.
- Il faut ajouter à ce constat, la soumission à l’autorité sans esprit critique, qui amène les soignants à fonctionner par mode (disease-mongering).
Oserions-nous affirmer alors que ce sont les médecins qu’il faut responsabiliser ? Pas individuellement, le mal est collectif. Il faudrait enrayer ce lent « nivellement par le bas » ou alors proposer de remplacer le médecin par ces démarches standardisées, que pourrait assurer avantageusement pour la société, des professionnels moins qualifiés. Dix ans de formation ne suffisent plus aujourd’hui à justifier un salaire nettement au dessus de la moyenne et encore moins des dépassements d’honoraires.
La solution serait que le médecin retrouve sa fonction, celle d’un professionnel de qualité qui utilise ses compétences pour assumer la part du risque qui seule justifie le statut qu’il revendique.
Il faudrait revoir les études de médecine, c'est-à-dire le discours entretenu auprès des étudiants, redonner sa place à la synthèse diagnostique, ne pas voir le patient, légitimement profane, comme un ennemi potentiel mais comme un allier incontournable.
Cette déresponsabilisation progressive de la démarche médicale contribue indiscutablement à la dérive des dépenses de santé. Elle est méconnue car difficile à percevoir en dehors de la sphère médicale. Elle l’est aussi par le manque de regard critique de la communauté médicale vis à vis de sa pratique.
Olivier Kandel
Le diagnostic, logique, est partagé par la plupart : il s’agit d’une surconsommation de soins au regard des ressources allouables par la collectivité. L’étiologie de ce mal viendrait des assurés, des patients, des malades qui ne se rendent pas compte du coût de la santé et consomment sans retenue, sans aucune rationalité. Le remède proposé depuis plusieurs décennies est alors de responsabiliser ce patient dispendieux en le rendant plus citoyen.
Cette vison est maintenant relayée par la CNAM passant progressivement d’une conception d’assuré à celle de client, allant même jusqu’à le suspecter. L’histoire aussi onéreuse qu’inutile de la photo sur la carte vitale en est une illustration.
Face aux échecs successifs des tentatives de solution ciblée sur le patient, ne devrions-nous pas remettre en question l’étiologie et observer le dispositif différemment ? Le médecin sait que si le traitement reste sans effet il est parfois raisonnable de se départir de ses aprioris, pour envisager d’autres hypothèses.
Et si l’incapacité à maitriser les dépenses de santé, ne venait pas des patients, mais des soignants, des médecins ? L’évolution depuis une vingtaine d’années de la démarche médicale pourrait en être la cause.
La valeur ajoutée d’un médecin formé pendant 10 ans, qui dispense un acte de haute qualité intellectuelle, prenant en compte les risques pour faire des choix, est mise à mal par une procédurisation dépersonnalisée de la démarche diagnostique et thérapeutique.
- On bilante et on protocolise les plaintes du patient selon des arbres décisionnels, des algorithmes, des recommandations rigides et inadaptées. S’en suivent des examens systématiques, sans analyse d’opportunité, et l’incapacité de faire une synthèse avant d’avoir "tous les résultats".
- Le patient, logique partenaire du soignant dans la prise en charge de son trouble, est vécu à tord comme un adversaire potentiel. On ne l’écoute plus. On vérifie que ce qu’il allègue est plausible, on le suspecte… On explore ainsi les maux pour se protéger "médico-légalement".
- On refuse d’envisager une cause non négligeable de maladie qu’est le psychosomatique. La médecine française a un véritable mépris pour ces troubles, que le patient est en général disposé à envisager, pour peu qu’on l’évoque aussi simplement que d’autres causes. On parle de diagnostic d’élimination, favorisant les détours en examens inutiles dispendieux et source d’anxiété pour le patient.
- Il faut ajouter à ce constat, la soumission à l’autorité sans esprit critique, qui amène les soignants à fonctionner par mode (disease-mongering).
Oserions-nous affirmer alors que ce sont les médecins qu’il faut responsabiliser ? Pas individuellement, le mal est collectif. Il faudrait enrayer ce lent « nivellement par le bas » ou alors proposer de remplacer le médecin par ces démarches standardisées, que pourrait assurer avantageusement pour la société, des professionnels moins qualifiés. Dix ans de formation ne suffisent plus aujourd’hui à justifier un salaire nettement au dessus de la moyenne et encore moins des dépassements d’honoraires.
La solution serait que le médecin retrouve sa fonction, celle d’un professionnel de qualité qui utilise ses compétences pour assumer la part du risque qui seule justifie le statut qu’il revendique.
Il faudrait revoir les études de médecine, c'est-à-dire le discours entretenu auprès des étudiants, redonner sa place à la synthèse diagnostique, ne pas voir le patient, légitimement profane, comme un ennemi potentiel mais comme un allier incontournable.
Cette déresponsabilisation progressive de la démarche médicale contribue indiscutablement à la dérive des dépenses de santé. Elle est méconnue car difficile à percevoir en dehors de la sphère médicale. Elle l’est aussi par le manque de regard critique de la communauté médicale vis à vis de sa pratique.
Olivier Kandel