SFMG - Société Française de Médecine Générale

Juillet 2017

Marronnier de la communication de la CNAMTS, les dépenses liées aux arrêts de travail reviennent sur le devant de la scène médiatique en cet été 2017. Cela n'est pas nouveau et le constat était clair dès 2011 puisqu'elles passaient de 4,3 milliards d'euros en 2000 à 6,3 milliards en 2011 *. L’Assurance Maladie est à l'action avec un plan qui prévoit en outre des agents facilitateurs pour aider le médecin conseil, l’assuré et le médecin traitant à favoriser la reprise du travail. Des recommandations de bonne pratique sur la durée des arrêts de travail en fonction des pathologies ont aussi été proposées. Un moment légèrement maitrisée, l'augmentation des prescriptions semble pourtant redémarrer.

Les analyses se croisent pour expliquer la croissance de ces dépenses par l’augmentation des arrêts de 1 et 6 mois, arrêts qui touchent aussi maintenant les plus de 60 ans. Ceux-ci seraient essentiellement dus aux troubles musculo-squelettiques et aux troubles mentaux.

La traditionnelle solution est naturellement retrouvée : il faut responsabiliser les patients, que l'on qualifie d'usagers, et leurs médecins. On peut se demander, si une nouvelle fois la CNAMTS ne fait pas une erreur de diagnostic. La hausse des arrêts de travail ne serait-elle pas due à la dégradation progressive des conditions de travail depuis une dizaine d'années ?

Cette hypothèse est difficile à étayer. Le cabinet d'un médecin généraliste provincial pouvant être dans une certaine mesure un poste d'observation éclairant une réalité, j'ai regardé mes dossiers.

L'étude, à partir du "diagnostic" PROBLEME PROFESSIONNEL, que je relève systématiquement lorsqu'un patient souffre d'un trouble en lien avec son activité professionnelle, montre qu'il se passe quelque chose depuis le début des années 2000, ce Résultat de consultation était quasi inexistant jusqu'alors. La prévalence de ces problèmes a été multipliée par 6 en 10 ans.


En 1998 je n'avais relevé ce diagnostic que pour un seul patient dans toute l'année. En 2009, le nombre de patients atteignait 39, et en 2016, 89. Je peux témoigner que depuis les années 2010 je relève quotidiennement ce Résultat de consultation. Je dis bien qu'une difficulté professionnelle m'est évoquée par un patient au moins une fois par jour ! Et je dois "l'avouer" ma prescription d'arrêts de travail remonte, en lien direct avec ce motif. Vieux médecin, installé depuis une trentaine d'années, il me semble peu probable que cette variation puisse être liée à un changement de comportement personnel vis-à-vis des arrêts de travail. J'observe plutôt qu'il est bien plus difficile depuis ces dernières années, d'imposer un arrêt à mes patients. Les refus sont fréquents.

Il ressort de mes nombreux entretiens que l'ambiance dans les entreprises, petites ou grandes, est à la pression constante quelle que soit la position dans la hiérarchie. Le stress et les tensions interpersonnelles ne sont plus réservés aux seuls ouvriers ou employés et le manque de reconnaissance est le maitre mot des maux de mes patients.

Pourtant, le vieux concept de gestion des ressources humaines, devait optimiser le fonctionnement de l'entreprise moderne. De mon point d'observation, il semblerait que les techniques de management actuelles atteignent leurs limites. Si l'entreprise n'y apporte pas de modifications c'est sans doute que la productivité est encore à ses yeux, satisfaisante. Pour lors, afin d'éviter toute analyse sur les méthodes, la souffrance professionnelle est médicalisée et confiée au médecin.

La CNAMTS, prompte à responsabiliser les protagonistes pourrait aussi attirer l'attention du monde managérial sur l'impact possible de la gestion des ressources humaines sur l'augmentation constante des arrêts de travail. Mon attention avait été attirée lors d''une émission sur France culture, dont je ne me souviens pas du nom, sur cette étrange association de 3 mots : gestion – ressource – humaine. On gérait les ressources naturelles, les ressources énergétiques, les stocks… L'humain est plein de ressources mais ne se gère peut-être pas sans un minimum de confiance et de reconnaissance.

Olivier KANDEL
Membre titulaire de la SFMG

Ces propos n'engagent que l'auteur


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