SFMG - Société Française de Médecine Générale

Juin 2012

Les évolutions des choix et modalités d'exercice des nouvelles générations de médecins donnent lieux à nombre de débats et rapports officiels sur l'attractivité de l'exercice médical libéral de la médecine générale.

Pour répondre à ces besoins de soins primaires, on constate une multiplication de modes d'exercice jusque là très minoritaires : les dispositifs de gestion de demandes de soins qualifiés d'urgence en médecine libérale ou en SAU hospitaliers, la promotion du "médecin volant", l'inscription au long cours de l'exercice de la fonction de remplacement en médecine générale ou même des propositions du monde hospitalier publique d'aller hors des hôpitaux assumer régulièrement des consultations en lieu et place de médecins généralistes.

Ces approches ponctuelles et fragmentaires des soins s'inscrivent dans une perspective ancienne. Voila maintenant un siècle que le rapport TAYLOR sur l'OST, organisation scientifique du travail introduisait les principes du découpage des taches de travail dans le monde industriel. Le Fordisme en a été alors la première illustration avec l'instauration des chaines de montage avec des ouvriers devenus interchangeables ! C'est le succès de la fameuse Ford T !

Ces logiques ont aussi été appliquées en médecine car au même moment, en 1911, le rapport FLEXNER préconisait dans la formation médicale l'approche spécialisée et parcellaire du corps par organe, discipline par discipline. Ce modèle a connu dans les écoles de médecine une extension mondiale avec ses avantages et inconvénients bien connus.

A partir du modèle de la visite "en urgence", le cadre des soins non programmés s'est développé. Que le lieu de l'acte soin passe du domicile à un lieu de consultation en établissement public ou privé change peu de chose dans les principes. Ces différentes formes d'exercices ont bien sûr donné lieu à des organisations professionnelles ad hoc défendant leurs spécificités et intérêts propres. Même le statut de remplaçant, novice en formation ou jeune diplômé, n'est plus revendiqué comme une étape transitoire, mais comme un état durable, voire permanent, mais aussi comme modèle d'identification professionnelle. La fonction de formateur de MSU, maitre de Stage Universitaire (ex-appellation des maitres de Stages). est maintenant aussi revendiquée.

Il y a pourtant là une confusion des genres et une méconnaissance majeure des concepts théoriques indissociables de la médecine générale en tant que discipline et en tant que pratique. Quelle que soit la définition de la médecine générale, elle s'articule dans l'instant et dans la durée autour de la médecine de la personne avec ses composantes de soins primaires, de soins continus, de soins personnels, de soins familiaux et de soins communautaires. La position du médecin "urgentiste" comme celle du remplaçant répond peu à ces critères et caractéristiques. De façon plus grave cette confusion traduit la perte de sens du médecin lui-même des déterminants des sciences humaines qui sous-tendent la demande de soins et d'aide comme les interactions soignant-soigné.

Il est donc préoccupant sur le fond de voir ces professionnels et leurs organisations respectives revendiquer de façon inappropriée une place de modèle d'indentification professionnelle en médecine générale. De surcroit ces cadres d'exercice particuliers répondent souvent à des désirs et des demandes des patients et des professionnels qui ne sont pas pour autant systématiquement des besoins de santé...

Ces visions ponctuelles des réponses médicales sont également en contradiction avec les besoins de continuité et de personnalisation des soins curatifs et préventifs renforcés par les polypathologies et maladies chroniques. Ces approches parcellaires limitent à l' extrême la personnalisation des soins et l'engagement du professionnel dans une relation de médecine générale. Les notions d'alliance thérapeutique ou de compagnie d'investissement mutuelle selon BALINT sont structurellement mises en difficulté, notamment du fait de la dilution de la responsabilité entre ces intervenants ponctuels et les autres intervenants généralistes ou non.

Les études internationales sur les modalités de soins souhaitées des usagers attestent du besoin de répondre en priorité à deux logiques prioritaires : la continuité relationnelle et la continuité informationnelle pour satisfaire aux objectifs d'une médecine personnalisée et coordonnée par un médecin généraliste traitant. Dans ces conditions, le modèle d'identification professionnelle du médecin interchangeable est d'abord pour la médecine générale un anti-modèle.

Si sur le marché de la santé, ces offres alternatives professionnelles constituent des "niches" spécifiques possibles, ces cadres parcellaires de "dépannage" ne peuvent être des modèles d'identification des pratiques recommandées en médecine générale et en soins primaires. Cela ne limite en rien le fait que dans le cadre restreint qui est le leur, ces formes d'exercice puissent être ponctuellement utiles, nécessaires et...interchangeables.

Mais elles ne doivent pas donner lieu à une confusion sociale et médicale persistante, voire accrue sur la nature et le niveau des soins concernés, les formations, missions et fonctions respectives spécifiques des acteurs. Une telle situation réduirait plus encore la lisibilité, la pertinence et l'efficience de l'usage de l'ensemble du système de soins et de santé et surtout de la qualité de soins.

Jean-Luc Gallais
Directeur du Conseil Scientifique de la SFMG
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